Je suis ce que l’on appelle une « personne issue de l’immigration ». Si j’ai passé la majeure partie de ma vie en France, la nationalité camerounaise de mes parents et ma parenthèse de 4 ans en terres Beti (ethnie de la région du centre Cameroun ) me valent d’être considérée par beaucoup comme une « pièce rapportée ». J’ai été naturalisée-à ma demande-à la fin de mes études il y a un peu plus de dix ans, mais je serai toujours une » française d’origine ».
Cette petite précision que je revendique autant qu’elle m’est imposée est toujours pour moi l’occasion d’évoquer un ailleurs qui s’exprime dans de nombreuses facettes de ma personnalité. Qu’il s’agisse de mon langage, de mes habitudes alimentaires ou vestimentaires, le pays n’est jamais loin. Il s’agit moins pour moi de revendiquer que d’ exister telle que la vie m’a façonné.
Les gens sont parfois surpris par cette manière que j’ai de faire cohabiter mes différentes cultures, de manière assez naturelle, sans forcer. J’ai d’ailleurs converti une grande partie de mon entourage à l’argot camerounais.
Avec le temps j’ai appris à comprendre ceux pour qui c’était plus compliqué. Ceux qui cherchaient à tuer tout ce qu’il y a d’ailleurs en eux. Un accent, une nature de cheveux, une couleur de peau aussi parfois… Chacun son histoire, chacun ses cheminements et chacun ses freins. Ce que je n’aime pas ce sont les raccourcis, les généralités et les préjugés. Il n’y a pas un modèle unique de femme noire, tout comme il n’existe pas un modèle unique d’homme blanc. Et vice versa. On fantasme et stigmatise bien trop de choses, des deux côtés.
On ne peut pas juger sans connaître , seuls les actes et les faits comptent. Le pire c’est lorsque ces jugements sont véhiculés par voie de presse, s’installant durablement dans les esprits comme une vérité empirique. J’ai toujours en tête le funeste discours (raciste s’il est besoin de préciser ) de Jaques Chirac dans lequel il fustigeait » le bruit et l’odeur » émanants selon lui des appartements occupés par les familles immigrés comme la mienne. Il est quand même drôle de constater que vingt cinq ans plus tard le Musée du Quai Branly consacre toute une exposition à son amour pour l’art (dont on ne peut détacher les us et coutumes) des civilisations non-occidentales. Je suppose que les gens changent, j’ai moi même fait évoluer ma manière de voir un tas de choses. Foutus conditionnements ! D’ailleurs c’est à Chirac que l’on doit (en 2006) ce musée qui met à l’honneur les » arts primitifs » ou « premiers », selon les expressions consacrées. Le musée a depuis accueilli de beaux projets et de très belles expositions. Parfois on fait avec ce qu’on a.
J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont résisté aux injonctions d’intégration sous peine de non renouvellement de titre de séjour ou de restriction des conditions du regroupement familial (ce truc a sauvé tellement de familles, vous avez pas idée !). Malgré les consignes strictes des compagnies aériennes, ma mère a toujours fait venir du pays, ses noix de palme, ses mangues et ses bâtons de manioc (#whocares). Souvent sous l’œil désapprobateur de mon père, craignant les fouilles et les saisies humiliantes de gibier de brousse à l’aéroport (Les affaires de la honte ! ).
J’ai été élevée aux bonnes graines d’arachides (mon père aime trop ça, tchip !) et aux pommes de terre ( beaucoup moins chères, elles étaient des alliés de choix des familles nombreuses au pouvoir d’achat limité ) à parts égales. Impossible de choisir ce que je préfère. Lorsque je bave devant un plateau de fromages mon amoureux qui lui a horreur de ça se plaît à me dire que je suis la plus française des camerounaises. Une manière de me taquiner car il sait que je ne veux pas être enfermée dans une image que les autres se font de ce que devrait être une « vraie » ceci ou cela.
Je me fiche pas mal des personnes pour qui on est jamais trop assez ceci ou assez cela. Lorsque je suis arrivée au Cameroun en classe de 4ème, mon professeur principal m’a surnommé « la françeuse ». Je le vivais hyper mal et je ne comprenais pas cette volonté de sa part de me marginaliser. Pour certain-e-s noir-e-s ici je suis une « bounty » : noire à l’extérieur et blanche à l’intérieur. Un lifestyle, une manière de penser qu’ils ne trouvent pas assez « roots » et un compagnon blanc ont fini de me « décrédibiliser » à leur yeux. C’est aussi arbitraire que ça. Et pour beaucoup de blanc-he-s je ne suis qu’une « negresse » libre d’aller où elle veut mais surtout loin de ce qu’ils considèrent comme leurs possessions (leurs médias, leurs entreprises, leurs institutions politiques, leurs quartiers et j’en passe ).
A vrai dire je n’ai jamais cherché à satisfaire l’un ou l’autre de ces deux camps. J’ai toujours vécu ma vie comme je le souhaitais forte d’une éducation basée non pas sur la couleur de ma peau mais sur des valeurs que je m’efforce de faire triompher.
On peut penser ce qu’on veut de moi et des personnes qui me ressemblent, dès lors que l’on franchi la barrière légale et que l’on tombe dans le racisme, j’en parle, je dénonce et j’agis pour faire évoluer les mentalités. Hier encore je n’ai pas hésité à adresser un mail à une marque avec laquelle je collabore pour attirer son attention sur un choix stratégique de leur part que j’ai trouvé discriminant. Ce sont des choses que je fais régulièrement (parce que ça arrive régulièrement, malheureusement), dans ma vie quotidienne ou professionnelle. Sans publicité, sans concertation et j’en assume pleinement les conséquences au premier rang desquelles il y a le risque d’être « black listé ». L’expression parle d’elle même.
Ma catégorie socio-professionnelle et celle de mes parents font de moi une privilégiée à plusieurs égards. Cela n’a pas toujours été le cas, loin de là. Je ne m’en excuse pas, mais je n’oublie pas d’où je viens lorsque le vigile referme le cordon de sécurité derrière moi. Une fois passé de l’autre côté rien n’est acquis, le plafond est juste un peu plus haut.
En dépit de tous les obstacles structurels que je dois régulièrement affronter pour me créer ma place au soleil , je fais attention à ne pas me trouver des excuses. Qui veut ne peut pas toujours, mais si je n’essaie pas je n’ai aucune chance de conjurer le sort.
C’est pas toujours facile d’être bien dans ses pompes lorsque l’on vit dans un pays qui nie les identités multiples. On a le choix : soit se faire tout-e petit-e, réserver ses vêtements en wax pour les mariages et les vacances au pays ou se proposer (et le cas échéant s’imposer) à l’autre dans toute sa diversité.
*sans complexe
14 Commentaires
Aurélie
« A vrai dire je n’ai jamais cherché à satisfaire l’un ou l’autre de ces deux camps. J’ai toujours vécu ma vie comme je le souhaitais forte d’une éducation basée non pas sur la couleur de ma peau mais sur des valeurs que je m’efforce de faire triompher. »
Cette phrase résume, à elle seule, la philosophie de vie que j’ai décidé d’adopter consciemment (et j’insiste vraiment sur ce dernier terme) il y a peu.
« Tu es une Bounty », « Tu es ‘trop’ intégrée », « Tu es fragile, alors que nous, les Noirs, nous sommes solides » confrontés aux clichés tenaces quant à ce que je devrais manger, apprécier comme musique voire même au fait que « chez moi » on marche pieds-nus et que j’y sois donc habituée par nature (alors que je suis née et ai été élevée en Europe) provenant de ‘l’autre côté’, je ne les connais que trop bien. Ces phrases assassines n’auront malgré tout pas raison de moi et j’imposerai, tout comme toi, la personne que je suis, que ça plaise ou non. J’ai d’ailleurs pour habitude de me considérer comme métisse à l’intérieur parce que riche de deux cultures qui sont les miennes et que je prends plaisir à faire cohabiter… Grand merci pour cet article, il était joliment écrit et les mots me sont allés droit au coeur 🙂
D.
Merci pour ton commentaire !
Djahann
Très bel article. C’est une vraie richesse d’avoir plusieurs cultures. Dommage que certains l’oublient
D.
Oui j’en suis persuadée !
Marilyn
Hello!
Je me décide à laisser un commentaire, pourtant je suis tes aventures depuis l’époque de Our Hair (mais mieux vaut tard que jamais). J’ai beaucoup aimé ce billet. Je me reconnais assez, moi même étant française d’origine camerounaise, d’un milieu pro que d’aucuns diraient « favorisé » (pour autant, je n’oublie pas d’où je viens), à l’aise avec ma double culture tant au niveau vestimentaire que culinaire & autres, et enamourée d’un Blanc barbu ! Je suis aussi parfois confrontée aux clichés des unes et des autres communautés (blanche & noire), je le vis plus ou moins bien, mais j’essaie de les ignorer la plupart du temps. Voilà pour le petit retour d’expérience / la petite comparaison 😉
A part ça, j’aime vraiment ce que tu véhicules à travers ton blog, c’est bourré d’optimisme et de bienveillance (choses un peu rares par les temps qui courent) & ça fait vraiment du bien. Je ne suis pas du genre à « starifier » qui que ce soit, mais j’ai tendance à te voir un peu comme un « modèle » et à « m’identifier » enfin, à me projeter plutôt car j’ai une dizaine d’années de moins que toi :p.
Merci pour ces chouettes pensées et bribes de lifestyle que tu partages avec nous autres, tes fidèles lectrices !
Bises.
Marilyn
Mrs Wapoenje
Oh Danielle,Tu m’as fais voyager ds le » Bon » temps avec des flash des valises de mangues, prunes africaines et poissons séchés, venues du pays. Je me suis retrouvée ds beaucoup passages (lol). Je prepare un article reflection sur mon experience d’être une noire d’origine en France, noire de France en Afrique, d’Africaine au mauvaise sans chez mes parents Antillais et enfin taguée d’Africaine pour le meilleur et pour le pire aux US ou je vis à present. Avoir reçu une bonne éducation, bien se composter en société, porter du pagne sans gene et en plus avoir un mari Africain a la peau bien claire finit toujours par chatouiller la langue de certains (zozos) qui me taguent de Bounty avant de vraiment me connaitre. Aujourd’hui j’assume mon Afro French.
D.
J’ai hâte de te lire ! N’hésites pas à me tagguer pour que je ne loupe pas;)
Best of D. - Maxi Wax
[…] Une manière comme une autre de célébrer mes origines, comme je vous l’invoquais dans ce billet. J’en profite pour vous remercier pour vos commentaires, avis et témoignages. Nous sommes […]
Lucète
Très beau billet. Vous écrivez tellement bien, c’est un réel plaisir de vous lire. Merci de résumer aussi bien les choses, je me suis retrouvée dans chaque passage.
Au plaisir de vous lire une prochaine fois.
D.
Merci Lucete.
Christel
Je passe souvent sur ton blog mais jamais, je n’ai eu de courage de commenter mais cet article me parle.
J’ai au passage une anecdote à partager: je suis née en France dans les années 80 de parents congolais. Lors d’une réunion avec la maîtresse, mes parents ont demandé (surement par souci d’intégration, surement, je ne sais pas), s’il fallait qu’ils nous parlent en français ou en lingala à la maison. Bien évidemment, la maitresse leur a répondu qu’il était préférable de privilégier le français. Ce qu’ils n’ont absolument pas fait. Dieu merci! Nous avons mangé des pâtes, des pommes de terre et cie, oui. Mais aussi de la semoule, du pondu etc. lol. Cette double culture est une si belle richesse alors pourquoi s’en priver?
Entre ceux qui disent que « tu fais la blanche » pour x raisons et ceux qui te reprochent de sortir en boubou ou d’utiliser un langage qui les dépasse, tu n’as pas fini d’en suer si tu prêtes attention à ce que disent les autres de toi. Soyons ce que nous sommes et non ce que les autres aimeraient que nous soyons. Nous ne leur devons rien. Absolument rien.
Je suis française d’origine africaine et le resterai, n’en déplaise aux autres.
Merci pour ce si beau billet, Danielle.
D.
Merci pour ton commentaire !
Karoll
Wow cela me parle tellement merci pour ce bel article. Ayant passé la majorité de mon enfance aux Antilles lorsque je suis arrivée en France après mon bac+2. J’ai été confronté Aux clichés, au racisme je m’y attendais pas du coup je me faisais petite quitte à perdre mon accent. Mais depuis quelques mois et suite à des problèmes personnels ce fut comme une révélation cela peut paraître bizarre mais j’ai décidé de m’affirmer, d’être moi-même sans honte sans gêne avec mes qualités et mes défauts et ça fait un bien fou !
Best of D. - Afropean Soul
[…] très exactement 8 ans de vie en France et 8 ans de vie au Cameroun (je vous en parlais un peu ici). Je ne voulais pas choisir. Je ne percevais donc pas l’offense dans des termes comme […]