Elever des enfants sans violence, en voilà un projet ambitieux, tant la violence est banalisée. On parle d’ailleurs de violence « ordinaire » pour qualifier ces gestes et ces paroles qui n’emportent pas de qualification ni de sanction juridique. Une gifle par ci, une tape derrière la tête par là, une fessée, une insulte, une brimade…La liste est longue et les adultes ne manquent pas d’imagination pour laisser libre cours à leurs pulsions de violence. Tout cela n’est pas gratuit disent celles et ceux qui s’y adonnent. Ce n’est pas méchant. C’est pour les aider, les éduquer, qu’ils filent droit, qu’ils obéissent, qu’ils respectent les règles peut-on entendre. Pourtant de nombreuses voix se font désormais entendre pour dire que cette violence est néfaste. Qu’elle abime. Aussi bien les personnes qui l’administrent que celles qui en sont les destinataires.
Je suis maman de deux enfants en bas âge (5 ans et 15 mois). Ce que l’on appelle une jeune maman. Je ne suis pas une spécialiste de la psychologie enfantine, ni de la petite enfance. Mes enfants ne sont pas des petits soldats qui obéissent au doigt et à la baguette aux adultes. Mes filles sont espiègles, coquines, turbulentes, sensibles, exigeantes, collantes, pleurnicheuses parfois. L’aîné commence même à mentir un peu. En somme j’ai des enfants en bas âge.
Avant de devenir maman je n’avais pas de principes arrêtés sur l’éducation que je donnerai à mes enfants, à une exception près : exclure toute forme de violence, qu’elle soit physique, psychologique ou verbale. Si pour tout le reste je verrai avec le temps et peut-être même avec le caractère de mes enfants, sur ce point là je n’ai jamais varié.
Je suis une femme noire, j’approche la quarantaine et j’ai été élevée comme beaucoup de parents de ma génération : à l’ancienne. Une éducation dans laquelle l’obéissance est l’objectif ultime. On ne cherchait pas forcément à savoir si les enfants étaient épanouis, ni ce qu’ils ressentaient. Le lus important étaient qu’ils soient sages et obéissants. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui n’avaient pas la main leste, alors les fessées que j’ai reçu étaient (selon les standards éducatifs qui étaient alors les miens) méritées, proportionnées et justes.
Qu’est-ce qui m’a donc poussé à tourner le dos à ces méthodes éducatives ? Après tout comme de nombreuses personnes se plaisent à le rappeler : j’ai reçu des fessées et pourtant je n’en suis pas morte.
Mais en grandissant avec un entourage qui avait un recours facile à la violence, j’ai réalisé à quel point ces gestes brusques, ces cris, ces mots secs, altéraient les personnes, leur confiance en eux et aux autres. Le visage tordu par la rage, les mains tremblantes, les gestes que l’on ne contrôle plus, les vacheries que l’on balance sans réfléchir à leur portée…Je ne voulais pas être cet adulte là. J’avais l’impression que c’était une prison. Un sentiment de toute puissance sur l’autre qui abime la relation. Je ne voulais pas que mes enfants aient peur de moi. Qu’ils sursautent de peur au lieu de sauter d’excitation en entendant la clé tourner dans la serrure. Qu’ils se demandent ce qu’ils ont fait de mal chaque fois que je pose le regard sur eux. Qu’ils pensent que la violence est un mode de résolution des conflits et les cris un mode de communication normal. Qu’ils fassent du mal aux autres par ennui, par angoisse, par frustration…Ou qu’il se fasse du mal à eux-mêmes. Qu’ils pensent qu’un autre individu puisse avoir le droit de vie ou de mort sur eux juste parce qu’il est plus fort, plus grand ou dans une position hiérarchique plus élevée. Qu’il ne puisse pas avoir une divergence d’opinion avec d’autres personnes sans se sentir jugé, rabaissé, nié. Qu’ils pensent à se suicider après avoir été battus comme plâtre, ou par crainte d’avoir déçu…Qu’ils pensent qu’ils ne sont pas dignes d’amour parce que les réprimandes sont plus nombreuses que les accolades. Qu’ils pensent que dans la vie ils ne méritent que ce que l’on veut bien leur donner et qu’ils ne seraient pas légitimes à espérer mieux : en amitié, en amour, au travail…Non je ne voulais pas que mes enfants puissent un jour penser et agir de la sorte. Parce que les violences éducatives ordinaires provoquent tout cela…Lorsqu’elles ne tuent pas.
De nombreuses personnes sont opposées à une loi contre les violences éducatives ordinaires, car pour elles ces dernières restent les prérogatives des familles. Que des parents puissent décider de donner un coup de pied à leur fils qui ne veut pas avancer. L’enfermer dans un placard parce qu’il a dessiné sur un mur, le priver de repas parce qu’il a renversé son verre, le rouer de coups de ceinture parce qu’il a répondu à sa prof à l’école….Lorsque des histoires tragiques parviennent à se frayer un chemin jusqu’à la fenêtre médiatique, nombreux sont les adultes à condamner le geste de trop. Mais quelle est la limite ? Frapper sur les jambes et éviter le visage et les mains pour que cela ne se voit pas…Frapper oui mais sans objet pour ne pas aller trop loin…Une fessée par dessus la couche juste pour qu’il comprenne qu’il ne faut pas faire ça…
Mais comment en est-on arrivé là ? Comment en sommes nous venus à nous dire que lever la main sur un enfant, le violenter était une solution acceptable, pire, éducative ?
Il fut un temps où cette violence s’exerçait également au sein des établissements scolaires et tout le monde trouvait cela normal. Aujourd’hui aucun parent ne laisserait au corps enseignant une telle prérogative.
La majorité de l’opinion publique est choquée est révoltée par les violences qui s’exercent au sein du foyer conjugal.
Même les violences perpétrées contre les animaux trouvent de plus en plus en plus de défenseurs.
En gros il y a un consensus presque général sur le fait que la violence c’est mal. Mais en ce qui concerne celle exercée par les adultes sur les enfants, on continue à la considérer comme un outil éducatif. Un truc qui est pas génial c’est sur, mais qui est tout de même pratique quand on est à bout. Tant que l’on ne tue pas l’enfant, il n’y a pas de quoi en faire un drame.
Et si on décidait d’envisager les choses autrement ? Si notre objectif en tant que parent allait plus loin que de juste maintenir en vie nos enfants. Si on envisageait une relation basée sur la dialogue, l’empathie et la coopération. Si on arrêtait de chercher à domestiquer nos enfants et que l’on essayait de les ELEVER au sens noble du terme ?
Une fois ma fille de cinq ans a dit à son père : « Papa tu dois m’expliquer les choses calmement sinon j’aurai peur de toi et je ne te dirai plus les choses ». Elle ne contestait pas la démarche consistant à la reprendre ou à la sermonner, c’est la forme dont elle nous expliquait avec ses mots d’enfant qu’elle lui était dommageable. Est-ce que l’autorité de son père en jeu ? Non. Etait-ce de l’insolence de sa part ? Non.
Dès qu’ils ont des interactions sociales, nous apprenons à nos enfants à vivre en harmonie avec les autres : partager, ne pas taper, ne pas arracher, dire merci…Mais aussi à avoir du répondant, c’est à dire exprimer une opinion lorsqu’elle leur semble légitime. Nous leur apprenons à devenir des personnes. Des petits êtres sociaux bien dans leur baskets capable de dire oui, mais aussi de dire non. Et pourtant dans le giron de nombreux foyers c’est tout l’inverse qui se produits. Face à ses parents l’enfant doit se faire oublier. Ne pas répondre, baisser les yeux…Se faire oublier. Des attitudes en complète contradiction avec non seulement leur nature profonde d’êtres sociaux, mais aussi avec leur cerveau peu mature qui rend extrêmement fragiles leurs affects.
Depuis quelques années ont assiste à une vulgarisation de méthodes éducatives venues des pays nordiques. Regroupées sous le vocable éducation positive ou bienveillance éducative, elles postulent un nouveau rapport des adultes à l’enfants pour des relations familiales harmonieuses. L’idée est de rompre le cercle vicieux des violences éducatives ordinaires : menace, chantage, punition, coups. Pour arriver à une meilleure estime d’eux même des enfants, mais aussi des parents.
Car oui un parent ne peut pas s’épanouir en tant qu’individu d’abord, puis en tant que parent lorsqu’il doit toujours recourir à des méthodes coercitives pour se faire entendre. C’est usant, physiquement et ça fragilise l’équilibre psychique. Cela a des répercussion sur le couple mais aussi de manière plus générale sur la vie sociale. De nombreux parents n’osent plus sortir avec leurs enfants ou recevoir chez eux parce que leurs enfants sont ingérables. C’est rarement de gaité de coeur que l’on donne une fessée et on culpabilise bien souvent ensuite. Il n’est pas rare que les autres enfants ou le partenaire fasse les frais de cette culpabilité que l’on ne peut pas exprimer au risque de paraitre faible ou dépassé.
De nombreux enfants se défoulent une fois que les parents ne sont pas là. Se battent à l’école ou molestent d’autres enfants. Ont un besoin de se faire remarquer de la pire manière qui soit ( insolence envers les profs, vols, mensonges etc.).
De nombreux adultes complètement démunis et manquant d’outils se raccrochent à cette forme d’éducation car c’est la seule qu’ils connaissent. Il y a une forme de sécurité dans les mauvaises habitudes. Rompre avec une violence que l’on a reçu en héritage et que l’on pense culturelle c’est aussi d’un certaine manière rompre avec des traditions identitaires. Pour de nombreux parents c’est un un conflit de loyauté : « mon père ou ma mère faisait déjà ainsi ». Changer de manière de faire signifie que je ne suis pas reconnaissante pour l’éducation qu’ils m’ont donné et pourtant c’est grâce à eux que je suis là où je suis aujourd’hui. J’en parlais notamment ici
La question qu’il faut alors se poser est celle de savoir si les ressources qui étaient celles de nos parents à l’époque de notre enfance sont les même dont nous disposons aujourd’hui. Beaucoup de parents ont eux même reçu une éducation » à la dure », avec peu ou pas de place pour la tendresse et l’expression des émotions. Puis la situation sociale et financière de nombreux parents aujourd’hui est bien plus confortable que celle de leur propre parents. En outre il y a aujourd’hui une vulgarisation des informations liées à la psychologie de l’enfant qui nous permet de repenser le rapport parent-enfant sous un angle différent, voir inédit pour beaucoup.
Je veux dire par là que beaucoup de nos parents n’avaient pas le choix ou les ressources pour agir autrement. D’ailleurs, maintenant que les enjeux sont totalement différents et leur progéniture adulte, de nombreux parents donnent à leurs petits-enfants l’affection dont leur propres enfants ne les pensaient pas capables.
Il n’est jamais trop tard pour envisager les choses sous un autre angle. La bienveillance éducative c’est un projet de société pour des enfants heureux et épanouis. Il ne s’agit pas de tout leur passer et d’en faire des êtres pourris gâtés qui mènent les adultes au nez à la baguette. IL n’y a pas d’un côté des enfants qui méritent d’être violentés et de l’autres ceux qui seraient sages et avec qui on pourrait « appliquer » une éducation bienveillante.
Ce sont les adultes, nous les parents qui devons changer de posture, accepter de nous remettre en question. Bannir toute forme de violence. Ne plus l’envisager comme une option possible (et légitime) mais comme quelque chose de réellement néfaste, parce que ça l’est.
Je savais que je ne « corrigerai » pas mes enfants, que je ne souhaitais pas crier à la moindre occasion et encore moins punir au moindre « écart ». Mais je ne savais pas du tout comment remplir de manière satisfaisante mon rôle de parent guidant et soutenant. J’avais très peur de tomber dans l’excès inverse et devenir une maman qui a peur de contrarier ou de frustrer son enfant. Pour ne pas tomber dans ces travers et être la maman que je souhaitais être, je me suis documentée. J’ai lu de nombreux livres traitant de psychologie de l’enfant, mettant en exergue les derniers résultats des neuro-sciences cognitives. Des ouvrages pratiques également, des blogs, assisté à des conférences. Peu à peu j’ai compris que la bienveillance éducative est une philosophie de vie accessible à tous. Elle prône l’équilibre et contribue à l’équilibre familial. Quelque soit le type de famille.
Dans le but de transmettre à mon tour, j’ai suivi l’année dernière une formation en accompagnement parental, dont l’un des piliers est la bienveillance éducative. J’ai rencontré des parents avec des histoires familiales différentes. Des situations sociales différentes et j’en suis arrivée à la conclusion suivante : tout s’apprend. De la même manière que l’on apprend à devenir parent, on peut apprendre à devenir bienveillant envers son enfant. Que les méthodes éducatives basées sur l’empathie donnent de bien meilleurs résultats.
Il existe aujourd’hui de nombreux ouvrages, des plus idéologiques aux plus pratiques. Des blogs spécialisés et des parents de notre entourage qui pratiquent la bienveillance éducative. Nous avons tout à apprendre et tout à gagner en revoyant notre manière d’envisager nos rapports aux enfants et en définitive aux autres.
Je reçois régulièrement des mails et des messages privés de mamans qui souhaitent mon éclairage sur telle ou telle situation familiale. Je réponds dans la mesure du possible et je recommande des ouvrages qui m’ont éclairés et m’ont guidés. Forte de tout cela j’ai mis en place un ensemble de bonnes pratiques à appliquer comme une hygiène de vie, ainsi qu’un kit de survie pour les situations exceptionnelles.
Pour celles qui souhaitent aller plus loin et avoir des solutions concrètes, je vous propose un workshop que j’animerai le 4 mars prochain à Paris. Lors de cette après-midi dédiée à l’éducation positive je vous donnerai les clés pratique selon deux axes d’approche :
Comprendre comment fonctionne le cerveau des enfants
- Aider les enfants à exprimer leurs émotions
- Comment gérer déception et frustration
- De l’importance des rituels
Apprendre les bases de la communication non violente
- Comment se faire obéir sans crier
- Responsabiliser plutôt que culpabiliser
- Savoir faire face aux colères et aux comportement débordants
- Dire non à son enfant tout en restant bienveillant
Bonus : Une bibliographie dédiée à l’éducation positive
Réservez votre place pour participer au Workshop ICI
5 Commentaires
Nadege
Bonjour
Je trouve votre article vraiment intéressant et je suis d’accord avec ce concept d’éducation positive
Cependant j’ai une question ou une crainte : en appliquant ce type d’eduCation à nos enfants cela ne risque t’il pas de produire en eux une sensibilité en décalage avec les autres enfants de leur environnement et du coup occasionner une sorte de violence ou de choc lorsqu’ils seront confrontés à des autres enfants qui eux n’ont pas bénéficié de cette éducation ?
Je ne sais pas si je me fais comprendre mais en exagérant un peu : ne seront t’ils pas au final des « victimes « dans ce monde de brutes ? C’est ma crainte
Nadege
D.
Bonjour Nadège, merci pour ton commentaire. Je comprends tes craintes, car en effet tous les enfants ne sont pas éduqués à se tenir à distance de la violence et du coup on peut penser en effet qu’exposés au autres et au monde, ceux qui bénéficient d’une éducation bienveillante vont avoir tendance à subir la violence des autres, du monde. La violence nait de l’incapacité de communiquer et des besoins fondamentaux non comblés. De cette frustration nait des réactions inadaptées qui se matérialisent dans la violence. Pour moi la violence n’engendre que la violence rien de plus. Je ne veux vraiment pas élever mes filles dans la loi du plus fort car il y aura toujours plus fort qu’elles et le drame est vite arrivé. Je les enseigne à rechercher le dialogue d’abord. A expliquer leur désaccord avec des mots justes (la bienveillance permet d’apprendre la communication non violente et donc un vocabulaire basé sur l’empathie) et fermes. A réagir de manière intelligente. Ma fille de 5ans a une personnalité solaire. Elle attire les bienveillants autour d’elle car elle l’est elle même. Elle est considérée à la maison donc considère les autres à ‘extérieur et ils le lui rendent bien. Je lui apprends à s’affirmer dans le respect de l’autre et donc de son intégrité physique. Elle sait donc qu’on ne tape pas et que personne n’a le droit de la taper. Elle sait se retirer quand la situation semble dégénérer. Cela ne fait pas d’elle une victime. Plutôt la fille qui est pas drôle à embêter car elle ne se laisse pas faire et ne joue pas le jeu de l’escalade de la violence.
On peut parfaitement apprendre à nos enfants à se faire entendre et respecter sans les taper et les punir. La majeur partie des adultes qui se trouvent dans des situations abusives ont été eux subis des violences physiques ou psychologiques dans leur enfance.
coeurdelouve
Maman d’une petite fille de 2 ans, c’est parfois compliqué même avec beaucoup de patience…Papa et moi avons besoin de l’aider notamment à gérer ses émotions… j’attends confirmation de mon emploi du temps avant de prendre ma place 😉
D.
Je le comprends que trop bien…Deux ans on est en plein dans l’âge d’affirmation et donc opposition, c’est vraiment le moment de mettre en place une routine qui va pouvoir vous suivre au long cours. J’espère que tu pourra te libérer et qu’on pourra se rencontrer enfin 😀
Best of D. - 10 idées reçues sur la bienveillance éducative
[…] une autre forme d’autorité basée sur la coopération et l’échange. Je vous renvoie à ce billet dans lequel j’expliquais pourquoi il est impératif d’en finir avec les violences éducatives […]