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Une poupée noire pour l’estime de soi

J’avais rédigé ce billet alors que ma fille aînée avait un peu plus d’un an. Je l’avais publié sur une version anterieure de mon blog qui n’est plus en ligne. Il n’est pas rare que des personnes qui l’ont lu à l’époque me redemandent le lien pour le partager autour d’elles. J’ai retrouvé le brouillon que j’avais rédigé à l’époque, alors j’ai décidé de le republier. Légèrement remanié, mais cinq ans et deux enfants supplémentaire plus tard, force est de constater que les sujets que j’y aborde sont toujours d’actualité. En cette periode de Noël et d’idées cadeaux à mettre sous le sapin, peut-être que cette reflexion vous inspirera. Dans tous les cas n’hésitez pas à partager votre avis en commentaires.

Maya 18 mois et sa poupée Lupita

 

Avant de devenir maman je n’avais pas ou peu de certitudes sur l’éducation de mes futurs enfants. Plutôt des souhaits, des aspirations, vœux pieux que nous formulons un peu naïvement, pour la plupart directement issus de notre propre éducation. Parmi ces quelques certitudes, il y avait la poupée noire. La première poupée que ma fille posséderait serait noire. Je voulais que ma fille débute son processus  (inévitable) d’identification avec un jouet qui lui ressemble. Alors certains me rétorqueront que ma fille n’est pas noire ou que les couleurs-la race, pour être plus précise-n’existent pas.

Ma fille est métisse, sa maman est noire et son papa blanc. Il n’en demeure pas moins qu’elle est identifiée socialement-selon l’acceptation de la « race » que l’on a en France-comme noire.

Quelle importance cela fait-il ? Dans un monde idéal aucune. Dans celui dans lequel nous vivons, la « racialisation » de certains individus implique de prendre conscience d’un certain nombre de choses.

La première : les personnes non blanches sont une exception. Le blanc est la règle. Même lorsque ce n’est pas dit, c’est implicite et communément admis.

Bien que les statistiques ethniques soient prohibées en France, cela ne fait aucun doute, ma fille  grandit et se construit  dans une société où elle est médiatiquement peu visible. Elle est et sera aux yeux de beaucoup « différente », pour une raison complètement arbitraire : sa couleur de peau( et d’autres caractéristiques physiques comme ses cheveux) qui la distinguent des personnes blanches.

Pour cette seule raison elle sera exposée à la bêtise de la stigmatisation, à la cruauté de la discrimination et à la morsure du racisme. Je ne le souhaite pas-Quel parent n’a pas rêvé d’une société idéale pour ses enfants ?-Mais ce sont des réalités auxquelles elle devra faire face.

Ne soyons pas alarmistes, il y a de plus en plus de « minorités visibles » dans les médias, normalisant aux yeux de certains-s’il le faut-leur appartenance à la nation française.

Mais ce « de plus en plus » n’est pas encore suffisant pour anéantir les préjugés.

Ma fille n’a peut être pas encore conscience des différences qui divisent les individus et font le lit de la haine, mais elle les découvrira. Elle découvrira plus tôt que je ne le souhaite la dictature des canons de beauté et les ravages de l’ethnocentrisme.

Elle subira peut-être même des remarques stupides ou méchantes sur sa peau, ses cheveux ou ses traits. Elle sera stigmatisée et stigmatisera peut-être à son tour, en réaction, inconsciemment, par frustration ou par bêtise.

La poupée est un objet de transmission, de dialogue. Elle cristallise tous les stéréotypes, sur la race et le genre. La poupée jouet idéal est donc bien souvent blanche (et blonde avec des cheveux longs et lisses).

Quel message j’envoie à ma fille, lorsqu’à un an (l’âge moyen de la première poupée), je mets dans ses bras non encore encombrés des constructions sociales néfastes, cette poupée blonde, aux cheveux lisses ?

Je voulais que la première poupée que ma fille possède soit noire.

Parce que vers l’âge de 7ans j’avais moi-même reçu une poupée à la peau foncée et aux cheveux crépus (à l’époque c’était un peu comme si vous receviez une licorne vivante en cadeau, tant l’offre de poupée était peu diversifiée). Cette poupée fut le meilleur cadeau de mon enfance et aujourd’hui je m’en souviens encore avec nostalgie et émotion.  J’aimais la coiffer, l’habiller et lui donnait le premier rôle dans mes jeux. Cette poupée était pour moi, la plus belle, la plus gentille, la plus intelligente et la plus stylée. Et bien sure j’étais cette poupée ! Je ne le savais pas encore à l’époque, mais tous les jeux de rôles développés autour de cette poupée ont fortement contribué à construire et renforcer mon estime personnelle. La poupée commme disent certains psychologues, rend un « soi » possible. Posseder une poupée noire pour une petite noire, à l’âge des premiers jouets c’est poser les premières briques à l’edifice O combien necessaire de l’estime de soi raciale.

Certains vous diront les couleurs et les races n’éxistent pas. C’est ce que les américaines appelent le « color blind ». Je le répète, dans une société idéale elles ne devraient pas exister.

Mais il suffit de voir le deferlement de propos racistes proférés sur les réseaux sociaux à l’encontre de l’actuelle Miss France-du simple fait de sa couleur de peau noire-pour constater que faire comme si les couleurs de peau et les races (ou plutôt la racialisation de certaines personnes) n’existent pas.

Ma fille est encore trop jeune pour avoir ce type de reflexion. Mais comme Maya Angelou disait : Il est temps pour les parents d’enseigner aux enfants, dès leur plus jeune âge, qu’il y a de la beauté et de la force dans la diversité.

Cette préoccupation était d’autant plus forte pour moi que les premières à subir les ravages du manque d’estime de soi sont les petites filles noires. Cela ne va pas en s’arrageant lorsqu’elles grandissent puisque ce sont celles dont les profils attirent le moins sur les applications de rencontres et ce sont celles qui sont le plus harcelées sur les réseaux sociaux.

Manquer d’estime de soi pour une petite fille noire c’est considérer que l’on est moche si l’on a pas les cheveux lisses, la peau blanche, les lèvres fines, les yeux bleus, les joues creuses…Cela peut-être également avoir honte de porter un prénom à consonnance étrangère.

S’il ne s’agissait que de physique, on pourrait éventuellement balayer toutes ces considérations superficielles du revers de la main et envisager de construire l’être (par opposition au paraître), mais

l’estime de soi c’est un package, ça marche avec la confiance, en soi, aux autres, en ses capacités, physiques et intellectuelles. Il n’est donc pas rare que lorsque l’on se trouve belle on se trouve intelligente et forte.

Je voulais que la première poupée de ma fille soit noire, parce que je n’ai jamais oublié cette étude sur l’estime de soi raciale, intitulée le test de la poupée blanche et de la poupée noire.

Il s’agit d’une expérience sociale datant de 1947, réalisée par le psychologue américain Kenneth Clark.

L’expérience met en scène des enfants noirs âges de 3 à 7 ans.

Les expérimentateurs présentent à chaque enfant quatre poupées (2 noires et 2 blanches).

Chaque enfant devait répondre dans l’ordre aux questions suivantes:

  1. Donne-moi la poupée avec laquelle tu aimerais jouer, la poupée que tu préfères.
  2. Donne-moi la poupée qui est une gentille poupée.
  3. Donne-moi la poupée qui est moche.
  4. Donne-moi la poupée qui a une belle couleur.
  5. Donne-moi la poupée qui ressemble à un enfant blanc.
  6. Donne-moi la poupée qui ressemble à un enfant de couleur.
  7. Donne-moi la poupée qui ressemble à un enfant de noir
  8. Donne-moi la poupée qui te ressemble.

Les résultats sont les suivants:

Dès 3 ans, plus de 75% des sujets étaient capables d’identifier correctement les poupées sur la base de leur couleur (question 5 et 6).

66% des enfants de 4 ans reconnaissaient davantage ressembler à une poupée noire (question 8).

Cependant, 76% choisissent de jouer avec une poupée blanche (question1). 76% trouvent également que c’est une gentille poupée (question2) et enfin 72% trouvent qu’elle a une belle couleur (question 4).

En ce qui concerne la poupée « moche » (question 3), 25% des enfants âgés de 4 ans choisissaient la poupée blanche alors que 55% montraient la poupée noire.
A 5 ans, la tendance s’accentue, 78% désignent la poupée noire comme moche, ils ne sont plus que 11% à choisir la poupée blanche.

A l’époque de la première publication de ce billet, plusieurs parents m’ont avoué avoir fait le test avec leurs enfants et avoir été surpris voir éffrayés par leurs réponses.

Je vous invite à faire le test avec vos enfants si le cœur vous en dit.

Je pense qu’en tant que parents nous avons un rôle essentiel à jouer dans la construction de l’estime de soi de nos enfants et plus largement dans l’édification d’une société plus juste et plus égalitaire. Cela peut débuter par le choix des jouets que nous mettons dans les mains de nos enfants. Que projettent ces jouets, que peuvent-ils leurs apprendre ? C’est bien souvent la question que je me pose lorsqu’il s’agit d’offrir des jouets à des enfants.

 

 

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1 Commentaire

  • Kyzané

    Superbe article qui tombe particulièrement à point nommé pour nous. Tu as réveillé en moi de très de beaux souvenirs de ces instants passés avec toutes ces poupées (celles de Ky comme les miennes). ❤️

    19 décembre 2019 at 23 11 07 120712 Répondre
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