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J’ai lu : « Tout tout de suite » de Morgan Sportès

Le 21 janvier 2006, Ilan Halimi un jeune vendeur dans une boutique de téléphonie âgé de 24 ans est enlevé en région parisienne. Pendant trois semaines, il sera torturé par ses ravisseurs qui le détiennent dans une cité de Bagneux dans les Hauts-de-Seine. Ces derniers réclament une rançon qui ne viendra pas. Le 13 février 2006, Ilan est découvert agonisant le long de la voie ferrées du RER C à proximité de Sainte-Geneviève-des-Bois. Débute alors une traque relayée pendant plusieurs semaines par tous les journaux, de Youssouf Fofana, chef présumé de ce que les journaux désignent  alors sous le nom effroyable de « gang des barbares ».
La première fois que j’ai entendu parler de cet ouvrage, ce fut de la bouche de Morgan Sportès lui-même quelques jours après sa sortie, dans une émission littéraire radiodiffusée. Et j’ai tout de suite souhaité le lire.  La manière dont Sportès avait de parler de cette affaire me faisait l’effet d’un témoin retrouvé 6 ans après les faits.

« Pendant deux ans, j’ai reconstitué leur crime dément, sans juger, mais sans excuser, en ne pouvant me défaire parfois, en dépit de la monstruosité de leurs actes, d’une certaine ironie face à ces mômes qui n’avaient rien dans le crâne ».
« Je me suis attaché à restituer les dialogues pathétiques des bourreaux. J’ai interrogé les inspecteurs de la crim’, la juge d’instruction, lu les scripts des coups de fil entre le père d’Ilan et les ravisseurs, correspondu avec certains membres de la bande… ».

Je l’ai déjà dit ici, j’éprouve une certaine fascination pour les affaires criminelles qui confinent au fait divers. Cette dernière qualification étant finalement fonction du traitement médiatique de l’affaire et des enjeux (souvent politiques). Pendant longtemps j’ai lu Détective et je regarde au moins une fois par semaine « Les enquêtes impossibles » de Pierre Bellemare.
Comme la majorité des  français, j’ai été horrifiée par la découverte de ces faits-comment peut-il en être autrement ?-Comment la barbarie véritable avait-elle pu s’infiltrer dans nos cages d’escalier sans  que personne ne tire la sonnette d’alarme ? Et pourtant, des faits divers atroces, des histoires de viols en réunion, de meurtre à l’acide, de règlements de comptes sordides sur fond de trafic de drogue il y en a eu dans les cités françaises.
L’affaire Ilan Halimi avait-elle réveillé ces vieux démons que l’on pensait définitivement enterrés à coup de mesures politiques? Déploiement du dispositif ZEP, création des emplois jeune, Destruction de la cité des 4000 zone de non droit, plaque tournante du trafic de drogue en France …
Certains diront que la confession juive de la victime qui a porté l’affaire au sommet de l’état…Et des consciences, la lutte contre l’antisémitisme ayant acquis depuis longtemps en France le statut de cause nationale permanente.
Pour Morgan Sportès qui dresse à travers cet ouvrage une véritable autopsie du mal d’où qu’il vienne (la société, les médias, les politiques), ce drame  va bien au-delà d’une histoire de jeunes de cité (noirs et arabes pour la majorité) qui n’aiment pas les « feujs », comme ont bien voulu nous le faire croire certains médias.
Sportès nous livre pieds et poings liés un « … petit essai « clinique » sur la marche de nos sociétés… ».
L’histoire est celle que l’on connaît, à l’exception de détails a priori sans importance (et pourtant…) que les médias n’ont pas jugé bon de nous conter.
Comme à son habitude, Sportès  commence par les faits : qui sont ceux que l’on qualifié de barbares ? Qui sont ces jeunes, où et comment vivent-ils ? Compte rendu d’enquête, extrait de rapport d’expertise des psychiatres, témoignage des auteurs qu’il a rencontré, rien n’est laissé à la libre appréciation du lecteur. Les faits sont là, aussi lourds que la misère intellectuelle et morale, premiers maux qui gangrènent nos jeunes qu’ils soient de Bagneux ou d’ailleurs. Qui est  réellement Youssouf Fofana ? On le découvre vite avec consternation : une arnaque, la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le beauf…
Le livre se lit comme une fiction, difficile de quitter les yeux l’horreur qui est en train de se produire sous nos yeux et dont on ne peut s’empêcher de se dire que l’un des protagonistes aurait pu être notre frère, sœurs, voisines … Oui c’est certain le récit vif de Sportès suscite l’empathie pour ces « monstres », mais point trop n’en faut, celui de la longue agonie de la victime évacue tout fantasme, toute fascination du pire et le rythme policier quasi  cinématographique  nous surprend à espérer un sursaut d’humanité qui semble définitivement enterré.
Un excellent livre qui apporte un éclairage pour moi inédit sur cette affaire.
En novembre 2011, Tout tout de suite a reçu le prix Interallié.
Tout tout de suite, Morgan Sportès, Fayard. Disponible ici

 

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