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Construire les contours de sa propre maternité 

illustration maternité best of d blog

J’aimerais vous parler aujourd’hui de la maternité à l’épreuve de la transmission. Je suis issue d’une culture ou la notion de transmission est sacrée. On perpétue des coutumes, des rites et des pratiques de générations en générations pour le meilleur… Et parfois malheureusement pour le pire. L’évolution des modes de vie et des mentalités à largement influé sur la valeur que l’on accorde à certains usages. Avec le temps certains se sont un peu perdus mais dans de nombreuses familles et cultures la tradition ne doit jamais mourir, peu importe qu’elle charrie avec elle son lot d’ignorance et/ou de violences .

A l’heure de la mondialisation c’est une sorte de survie identitaire, du moins c’est ainsi que je l’analyse. De nombreuses pratiquent entourant la maternité en sont un bon exemple.

Au delà d’une approche rituelle et culturelle des choses, la maternité reste avant tout et pour la majorité des personnes, une affaire de famille. Le nouveau né est le dernier membre d’un groupe lié par une filiation, que l’on souhaite prospère à tous les niveaux. Son éducation ou plus largement les choix que l’on fait pour lui doivent obéir à des préceptes inscrits dans les traditions familiales qui ont fait leurs preuves. Ainsi il n’est pas rare d’entendre des femmes expliquer leurs choix maternels en commençant par :  » Dans ma famille les femmes/on… ». Nombre d’entre elles n’ont pas besoin de motivation supplémentaire pour adopter une pratique dont elles ne connaissent en réalité pas grand chose. Cette confiance aveugle que l’on accorde à l’expérience  familiale collective (dont on ne garde en général que le meilleur; le négatif étant bien souvent mis sur le compte de quelques errements de personnes qui n’ont pas joué le jeu et en ont donc payé le prix) ne me poserait pas de problème si elle concernait des choses anodines (si tant est que l’on puisse considérer que l’anodin s’applique à la maternité ). Mais ces décisions empreintes de passivité ou de renoncement que l’on confond bien souvent avec des choix éclairés ont des répercussions (plus ou moins graves) sur la vie des enfants, des parents et parfois même du couple.

Choix de prénom(s) soumis à l’aval des aïeux, choix alimentaires effectués sous la pression, modalités de garde/séparation imposées, méthodes éducatives et coercitives constamment critiquées, choix religieux imposés, atteintes à l’intégrité corporelle de l’enfant (piercing, circoncision, excision, blindages, tatouages…) sans concertation ou autorisation…

La liste est longue et certainement pas exhaustive. D’aucuns diront qu’il faut faire la part des choses et que l’on ne peut pas mettre sur le même plan toutes les pratiques (du point de vue des conséquences), mais pour moi le cœur du problème est le même : les aïeux s’estiment garants de traditions ou d’un savoir faire ayant permis à leur progéniture-vous donc-de se réaliser. Cela leur confère le pouvoir et même la prérogative de légiférer de prêt ou de loin sur les affaires de votre vie. Avec votre autorisation ou sans opposition de votre part, ce qui revient au même.

Il faut dire que lorsque l’on devient parent pour la première fois, il est rassurant de se tourner ou de s’en remettre à ses proches pour tout ce qui relève de l’inconnu. Pour à peu près tout donc. Notre bonne vielle morale postulant que  » celui qui est plus âgé a l’autorité de l’expérience », il est donc naturel que l’on se tourne en premier lieu vers ceux qui nous ont donné la vie (ou nous ont élevé).

On parle beaucoup de l’éducation que l’on a reçu, concédant qu’elle n’a peut-être pas été idéale, mais pas des pires non plus, puisque nous sommes en vie. Ce dont on parle moins, c’est de cette culpabilité que de nombreux parents font inconsciemment porter à leurs enfants, les rendant tributaires pour le reste de leur vie, de tous les sacrifices auxquels ils ont dû consentir pour les maintenir en vie. C’est fait de manière plus ou moins insidieuse en fonction des familles, mais dans tous les cas cela génère chez les enfants, dès le bas âge, un souci permanent de rembourser cette « dette »morale (quand elle n’est pas rendue pécuniaire par certains parents, lorsque les enfants sont en âge de travailler). La première des choses à laquelle on s’attache alors, est d’être « un enfant gentil », qui ne souhaite causer aucun tort à ses parents. A l’âge adulte on parle de « ne pas froisser » ses parents et l’on met cela sur le compte du respect qu’on leur doit et de l’amour qu’on leur porte, alors qu’en réalité c’est l’ « enfant gentil  » en nous qui par son silence œuvre toujours pour rembourser sa dette.

Attention, je ne diabolise pas les aïeux, car bien souvent tout cela procède d’un inconscient collectif (sauf cas particuliers), qui va parfois bien au delà de vos parents et s’inscrit dans une histoire familiale complexe; mais j’essaye d’attirer votre attention sur le fait que vous êtes peut-être victime d’un système de pensée, dont il est nécessaire de s’émanciper, pour le bien-être de vos enfants, mais également pour le votre. Vous êtes les seul-e-s garant-e-s de cela.

Et comme les traumatismes (surtout ceux dont on a pas conscience et qui ne sont donc pas admis  comme tels) ont la dent dure, bien souvent l’extrême sollicitude et la disponibilité de nos aïeux- que l’on devrait considérer comme normaux- réactivent cette fameuse dette morale. Il faut dire également qu’avec l’âge, nos aïeux deviennent plus susceptibles et si l’opposition n’est pas un sport que l’on a pratiqué avec eux (comme adversaires) étant plus jeunes, on a vite fait de déclarer forfait !

A ce stade du récit je suppose que vous devinez que j’ai déchiré ma reconnaissance de dette relativement tôt, ah ah ! Mais je restais tout de même une enfant puis une adulte relativement gentille.

En devenant maman j’ai immédiatement mesuré la responsabilité que je prenais, vis à vis de la société et vis à vis de mon enfant : celle de l’élever du mieux que je pouvais, selon les principes et les valeurs qui sont avant tout les miennes et celles de mon conjoint. A ce sujet, les psychologues aiment à dire qu’il faut dédramatiser car quoi que nous fassions, nous pouvons pas éviter que nos enfants nous détestent un jour. Mais dans ce cas je veux au moins avoir à répondre de mes propres actes et de mes propres choix. Pas de ceux qui m’ont été imposés (même subtilement), mais de ceux auxquels j’ai consenti en pleine conscience.

Je pense avoir reçu de mes parents une bonne éducation et je leur en suis reconnaissante à bien des égards car elle a forgé mon caractère et paradoxalement la liberté que je revendiquait déjà enfant et qu’ils m’ont souvent reproché. Néanmoins en tant que sujet de cette éducation je suis aujourd’hui en tant qu’adulte, habilitée à en mesurer les effets. Ne leur en déplaise et cela peu importe qu’ils aient fait de leur mieux. Il s’agit plus de faire un constat que de dresser un procès verbal.

Forte de ce constat et de mes aspirations propres en tant qu’individu (et non pas en tant que membre d’une famille ou d’un clan) je peux alors décider de faire des choix diamétralement opposés aux leurs et je n’ai nul besoin qu’ils les approuvent ou les valident. S’ils le font tant mieux, mais dans le cas inverse je ne leur donne d’autre d’alternative que celle de les respecter.

Pour ce faire, je n’hésite pas à leur faire part de ma manière de voir les choses. C’est également une façon de les impliquer et leur signifier que je leur fais confiance. Plutôt que de partir du principe qu’ils rejetteront tout en bloc parce que c’est à l’opposé de ceux qu’ils ont fait avec leurs propres enfants ou de ce qu’ils connaissent. Je ne vous cache pas que c’est un travail de longue haleine, qui m’a valu de longues discussions, a généré quelques crispations (et en génère parfois encore) et parfois même des menaces (de ma part; de partir avec mon enfant sous le bras ); mais le changement n’est jamais quelque chose de facile, ni de reposant. Cela demande également un travail sur vous même et votre personnalité. Un travail qui vous sera d’ailleurs bénéfique au delà du cercle familial parce qu’au fond vous avez cette crainte permanente d’être jugé.

Devenir parent c’est également l’occasion de devenir adulte – si ce n’était pas déjà fait- et de dire NON à vos propres parents. Cela vous permet par la même occasion de vous autoriser enfin un JE et de vous dire OUI.

Nous avons tendance à l’oublier, mais le respect est quelque chose de mutuel et il n’est jamais trop tard pour mettre en place un véritable dialogue intergénérationnel.

En trois ans de maternité j’ai beaucoup appris de ma maman (une affaire de femmes chez nous) et je peux dire sans me vanter qu’elle (et mon papa par ricochet ) ont également aussi appris beaucoup de moi. Ils ont appris ce qu’était la bienveillance éducative, ont compris la nécessité de bannir certains mots à portée négative de leur vocabulaire (même s’ils ne pensaient pas à mal), la nécessité de parler avec leurs enfants, de les écouter véritablement et d’accueillir favorablement leurs émotions. Ma mère m’a confié une fois qu’il y a des choses qu’ils auraient aimé savoir à l’époque où ils sont devenus parents. Cela leur aurait évité de faire certaines erreurs. Je trouve ça formidable, car cet aveu de leur non omniscience leur permet aujourd’hui de se remettre en question et de vivre une grande-parentalité plus épanouissante que ne l’a sans doute été leur parentalité. Cette dernière n’étant d’ailleurs pas terminée, c’est également l’occasion de s’autoriser un nouveau souffle de ce côté. Pour tous.

Je ne résiste pas à l’envie de vous faire une petite recommandation de lecture pour aller plus loin si vous le souhaitez :

« Il n’y a pas de parent parfait: L’histoire de nos enfants commence par la nôtre » -Isabelle Filliozat- mars 2013.

Disponible en livre de poche ici

Illustration : Blue Paradise Art

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9 Commentaires

  • Djahann

    Très bel article ! Je suis tout à fait d’accord avec toi, même si ça ne doit pas être simple, notamment dans les familles à forte tradition (et quelles que soient les origines, religions et cultures).
    J’aime beaucoup ta façon de penser et tes valeurs (que je perçois via tes articles et tes statuts FB).

    18 septembre 2016 at 8 08 37 09379 Répondre
  • Wadji

    Je suis tellement d’accord avec toi, ce qui me vaut depuis la naissance de la petite plusieurs discussions houleuses avec ma mère. Et j’ai toujours eu un problème avec cette dette morale. On entend souvent dire chez nous « si j’avais fermé les cuisses, tu ne serais pas né. Tu me dois la vie ». Alors un enfant ne doit pas la vie à ses parents, ils l’ont fait venir dans ce monde de par leur propre volonté, il n’a pas appelé et dit « hey concevez- moi! ». Tu ne peux pas avoir une dette envers quelqu’un qui a décidé de t’offrir quelque chose. Ils ne l’ont pas sauvé de la noyade par exemple. Bref comme tu vois, cette notion m’irrite vraiment. L’enfant doit tout. L’enfant doit dire s’il te plait alors qu’on ne lui dit jamais. L’enfant doit seulement.

    18 septembre 2016 at 9 09 26 09269 Répondre
    • Candy.

      C’est pareil chez moi … Et quand tu « désobéis » tu es un enfant ingrat…

      19 septembre 2016 at 19 07 47 09479 Répondre
    • Candy.

      C’est pareil chez moi … Et quand tu « désobéis » tu es un enfant ingrat…

      19 septembre 2016 at 19 07 47 09479 Répondre
      • Wadji

        Tout à fait ! Le pire c’est que j’ai la trentaine et je dois encore parfois expliquer que j’ai le droit de ne pas être d’accord avec ce qu’ils disent/font sans que ce soit de l’insolence. Le rapport de force, de supériorité du parent est tellement ancré, c’est fou !

        20 septembre 2016 at 8 08 41 09419 Répondre
  • Natalya

    Magnifique article comme tous tes articles ! Je regrette tellement de ne pas retrouver tes autres articles « maman » que j’hésite à copier ceux là pour etre sure de les retrouver quand ce sera mon tour!

    18 septembre 2016 at 9 09 30 09309 Répondre
  • oumou

    Je suis tellement d accord avec ton article. La dette de vie en psychologie est une notion passionnante et elle permet de comprendre les souffrances que certaines personnes trimballent toutes leurs vies dutant. La transmission a du bon, je regrette a titre personnelle de ne plus avoir ma maman concernant mon vécu de la marernité. C est à cette occassion d ailleurs que beaucoup de manques et souffrances se réactivent chez breaucoup de femme.

    21 septembre 2016 at 23 11 02 09029 Répondre
  • Danya

    Cet article est très interessant et jebsuis d’accord avec l’idée que la maternité est une période propice à l’affirmation de soi et la résponsabilité que l’on a envers nos enfants devrait nous forcer à faire des choix éclairé. j’aborde également ce sujet dabs un article sur mon blog.
    Au plaisir de te lire . A bientôt.

    24 novembre 2016 at 23 11 11 111111 Répondre
  • Best of D. - 10 idées reçues sur la bienveillance éducative

    […] ou une manière de faire dans lesquels vous ne vous reconnaissez pas.  J’en parlais dans ce billet, Il est impératif de construire les contours de votre propre parentalité, et il n’est […]

    30 avril 2018 at 18 06 39 04394 Répondre
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